Rencontre
avec Hassan Abdelhamid, professeur de philosophie
du droit à l'Université d'Aïn
Shams

"
Revenons aux faits sociaux et à une pratique
empirique du droit "
Professeur de philosophie du droit à
l'Université d'Aïn Shams, professeur-associé
à la nouvelle Université française
d'Egypte et à l'Université de la
Rochelle, où il anime un séminaire
du DEA de droit des responsabilités, Hassan
Abdelhamid est pour le moins accaparé par
ses activités d'enseignant. Mais ce jeune
et brillant chercheur cairote, lauréat
en 1998 du premier prix des jeunes chercheurs
arabes (Fondation Abdelhamid-Schumann), trouve
encore le temps de s'occuper de projets européens
et de participer à de nombreux colloques.
Entretien dans son bureau à Aïn Shams,
où nous avons eu la chance de le trouver
à la veille d'un départ pour Madrid.
Comment se fait-il que vous parliez si bien
le français ? Etiez-vous au lycée
dans un établissement francophone ?
Non, j'ai fait toutes mes études en arabe.
J'ai appris le français de façon
complètement autonome, après avoir
obtenu mon bac. Comme de nombreux Cairotes, j'étais
déjà francophile à l'âge
de l'adolescence mais c'est un cours de philosophie
sur Descartes et la tradition philosophique française,
en terminale, qui m'a décidé à
apprendre le français. L'étude de
Descartes m'a passionné car sa philosophie
m'est apparue comme étant à l'origine
de la pensée moderne.
Et avez-vous vécu en France ?
J'ai préparé ma thèse à
Paris, ou plus précisément à
Nanterre, entre 1988 et 1994, puis je suis rentré
au Caire pour devenir maître de conférence
à l'Université Aïn Shams, avant
de repartir passer une année supplémentaire
à Paris au Centre de philosophie du droit
de Paris II en 1996. Comme vous pouvez le voir,
je suis devenu très lié à
la France et aux Français. J'ai été
très sensible à leur ouverture d'esprit
et à leur capacité à accepter
l'autre.
Quel fut par la suite votre parcours ?
J'ai poursuivi mon travail d'enseignant et approfondi
mes recherches sur les rapports entre
les religions du Livre et le langage des droits
fondamentaux. J'ai aussi écrit une étude
sur la responsabilité pénale en
Egypte pharaonique, qui m'a valu en 2001 un prix
de l'Etat égyptien.
Quelle idée se faisait-on de la responsabilité
pénale en Egypte ancienne ?
Hérodote parle d'un code égyptien,
qu'on a malheureusement jamais retrouvé.
Mais des témoignages épars montrent
que l'Egypte ancienne avait une conception de
la responsabilité pénale très
proche de la conception moderne, c'est-à-dire
que la responsabilité pénale était
établie avec objectivité, sans tenir
compte de la culpabilité morale de la personne.
La justice en Egypte ancienne s'attachait à
étudier les faits pour régler les
problèmes de façon pragmatique.
Quel sujet vous occupe actuellement ?
Je consacre en ce moment moins de temps à
la recherche car j'ai été nommé
responsable scientifique du projet " Euromed
" en Egypte. Il s'agit d'un programme visant
à conserver le patrimoine culturel du bassin
méditerranéen et à préserver
ses métiers traditionnels comme la production
d'huile d'olive et de fruits secs. Ce projet,
financé à hauteur de 80% par l'Union
européenne, a commencé en février
dernier et prendra fin en 2005. Dans un premier
temps, nous répertorions les métiers
existants et nous nous efforçons d'identifier
leurs problèmes. Notre rôle consistera
ensuite à créer des partenariats
entre les producteurs et à les inciter
à mettre en place des labels méditerranéens.
En Egypte, ce sont principalement les métiers
du textile et de la production d'huile d'olive
ou de marbre qui sont concernés.
En tant que juriste et philosophe, quel regard
portez-vous sur le droit égyptien et la
façon dont il est pratiqué aujourd'hui
?
Vous savez certainement que le droit égyptien
est issu du Code civil français, dont le
contenu et l'application ont été
adaptés à notre culture musulmane
[voir à ce sujet l'interview de Jacques
Bouineau, coordonnateur de l'Institut de droit
des affaires internationales à l'Université
du Caire, NDLR]. Mais les liens entre les droits
français et égyptien sont en fait
beaucoup plus profonds : le Code civil est l'héritier
du droit romain, lui-même héritier
de tradition égyptienne par l'intermédiaire
de la pensée grecque et du code en vigueur
dans la Grèce antique, le code Solon !
Quant au pouvoir judiciaire en Egypte contemporaine,
le moins que l'on puisse dire est que sa tâche
est ardue. La constitution de 1971 est teintée
d'un langage à la fois religieux et socialiste,
or les arbitrages doivent aujourd'hui être
rendus dans un monde régi par l'économie
de marché ! Les interprétations
qui sont faites de la Constitution évoluent
sans cesse et s'éloignent nécessairement
du texte d'origine. Il devient ainsi de plus en
plus évident qu'il n'existe pas de compromis
entre un droit religieux et un droit moderne :
en droit, pour être cohérent, il
faut choisir un langage. Le plus adapté
n'est certainement pas le langage religieux, puisque
les comportements sociaux en Egypte contemporaine
ne sont pas islamiques. Revenons donc aux faits
sociaux et à une pratique empirique.
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