Rencontre
avec Patrick Blanche, enseignant à l'université
de Kumamoto
"
Les universités japonaises servent à
faire croire au monde que le Japon est un pays
aussi avancé, démocratique et progressiste
que les Etats-Unis ou l'Allemagne. "
Avec plus de 18 ans d'expérience d'enseignant
de langue anglaise au Japon, Patrick Blanche peut
argumenter sa critique sans concession du système
d'enseignement supérieur nippon. Il dresse
un tableau accablant du paysage universitaire
et des relations entre étudiants et recruteurs
; il fait en outre la liste des rares établissements
" où l'on a quelquefois le courage
de parler librement. "
Quelle est la situation actuelle de l'enseignement
supérieur au Japon ?
Il y a aujourd'hui près de 600 établissements
d'enseignement supérieur dont un tiers,
tous privés, sont condamnés à
disparaître. Le vieillissement de la population
a dramatiquement fait chuter le nombre d'étudiants,
et la quantité dérisoire d'étudiants
étrangers ne suffit pas à compenser
la perte. Bien entendu, les écoles et les
universités d'Etat survivront. Parmi tous
ces établissements, moins de quarante à
mon avis méritent le nom d' " université
". Dans les autres, on ne fout simplement
rien. C'est la belle vie, deux à quatre
années de paradis entre le purgatoire des
examens d'entrée et l'enfer du monde du
travail à la japonaise. Tout le monde le
sait mais personne n'en parle.
Et les employeurs ne s'en plaignent pas ?
Si vous discutez avec des employeurs, vous vous
rendrez compte que la connexion entre universités
et entreprises reste proche du niveau zéro,
à l'envers de ce qu'elle devrait être.
Les recruteurs japonais ne veulent toujours embaucher
qu'un nombre infime de jeunes capables de réfléchir
par eux-mêmes. Ils entendent garder leur
monopole de la formation, faire de leurs nouveaux
employés exactement ce qui leur plaît,
et le Ministère de l'Education Nationale
est très complaisant dans ce domaine.
Quel rôle reste-t-il alors aux universités
?
Tout simplement à faire croire au monde
que le Japon est un pays aussi avancé,
démocratique et progressiste que les Etats-Unis
ou l'Allemagne. Les diplômes qu'elles valident
ne sont que des bouts de papier certifiant que
telle ou telle personne est suffisamment intelligente
et docile pour parvenir à un niveau de
cadre moyen dans n'importe quelle entreprise nippone.
Tout le reste, c'est du grand guignol.
Existe-t-il des signes positifs de changement
?
Dans certaines rares universités, oui.
Mais la structure administrative de la grande
majorité des établissements d'enseignement
supérieur est d'une lourdeur inimaginable.
Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu'ils
puissent changer, s'adapter, prévoir l'avenir
? C'est pratiquement impossible, quand pratiquement
personne ne sait où et comment les décisions
sont prises, quand les professeurs passent parfois
plus d'un tiers de leur temps dans des réunions
diverses où on parle de tous les problèmes
sans jamais en résoudre aucun. On fait
mieux, beaucoup mieux en France - et ce n'est
pas peu dire !
Quelles sont les universités tokyoïtes
qui, selon vous, se démarquent des autres
?
Celles que je sélectionnerais sont toutes
privées, de taille moyenne ou petite et
souvent d'obédience religieuse ou étrangère.
On y a quelquefois le courage de parler librement.
1) Sophia University, université japonaise
en dépit des apparences et plutôt
bien cotée. Presque tout le monde y parle
anglais. Son président, William Currie,
est un père jésuite américain
très compétent et, qui plus est,
homme de qualité. Il est membre d'un cabinet
consultatif récemment formé pour
conseiller le Ministère de l'Education
Nationale dans le domaine de l'enseignement des
langues.
2) Temple University Japan, la plus ancienne des
universités américaines établies
au Japon (depuis 1982) - et la seule qui y ait
vraiment réussi. Origine protestante/baptiste.
On y travaille.
3) International Christian University, relativement
bien cotée malgré une réputation,
négative au Japon, de non-conformisme,
ce qui pour moi en fait tout l'intérêt.
Elle dispose de beaucoup d'espace, ce qui est
rare au Japon. Presque tout le monde y parle anglais,
et son campus est très beau.
4) Sacred-Heart University, beaucoup plus traditionnelle
que la précédente. C'est de là
qu'est sortie Michiko, l'Impératrice du
Japon. Toutes les diplômées sont
bilingues, et souvent trilingues anglais-français-japonais.
Elles ont toutes un emploi garanti à la
fin de leurs études. Même sur le
marché du travail actuel, on se les arrache.
J'y ai personnellement enseigné pendant
trois ans.
Rien ne sert de s'attarder dans les " grandes
" et " prestigieuses " universités
comme Tokyo (publique, NDLR), Waseda et Keio (privées,
NDLR) : ce sont des labyrinthes dans lesquels
on se perd sans aboutir à rien.
Retour
au sommaire
|