Rencontre
avec Viviane Brachet, professeur de sociologie
au Colegio de Mexico
"
Le panorama universitaire mexicain est comparable
à celui Etats-Unis il y a vint ans ans
"
Viviane Brachet enseigne la sociologie au
Colegio de Mexico depuis 1974. Familière,
à la fois en tant qu'étudiante,
professeur et chercheuse, des systèmes
universitaires français, américain
et mexicain, elle les compare aujourd'hui sans
mâcher ses mots.
Quel est votre parcours ?
J'ai quitté la France en 1963, ma licence
de sociologie en poche. Je ne tenais pas à
poursuivre mes études dans une université
française et je suis partie pour les Etats-Unis
où j'ai fait une maîtrise et un doctorat
de sociologie. Parallèlement et par la
suite j'ai moi-même enseigné, à
l'excellente Johns Hopkins University, notamment.
Je ne suis arrivée au Mexique qu'en 1973,
marquée par une longue et heureuse expérience
américaine. En arrivant à Mexico,
j'ai commencé par faire des recherches
à l'Institut d'anthropologie puis je suis
entrée dès 1974 au Colegio de Mexico.
Pouvez-vous nous présenter le Colegio
de Mexico ?
C'est une institution insolite. Dans les années
40, la Casa de Espana a été fondée
pour recevoir les intellectuels espagnols exilés;
le Mexique était très favorable
à cela, convaincu que cela lui apportait
énormément. Ce centre d'intellectuels
a grandi peu à peu et est finalement devenu
le Colegio de Mexico. Cet établissement
public indépendant est très différent
d'une université nationale : le Colegio
est tout petit et la recherche y est intensive
: on compte 100 étudiants pour 200 chercheurs.
L'enseignement est spécifique, il existe
uniquement deux licences : la première,
consacrée aux relations internationales
est un berceau de politiciens, la seconde est
dédiée à l'administration
publique ; elle forme des fonctionnaires. Mais
l'ensemble des matières étudiées
est plus vaste : histoire, langues et littératures,
études sur l'Asie et l'Afrique, économie,
démographie et développement urbain,
et bien évidemment, sociologie. J'enseigne
pour ma part essentiellement au niveau de la maîtrise
et du doctorat. Je travaille avec de petits groupes,
ce que je considère comme un grand privilège.
Le niveau du Colegio est excellent et de fait,
la sélection est difficile, d'autant plus
que les effectifs sont restreints. Nous pratiquons
ce que l'on pourrait appeler un " élitisme
à l'ancienne ".
Le Colegio sur le web : www.colmex.mx
Que pensez-vous du système universitaire
français ?
Il est très différent des systèmes
américain et mexicain. Dans la forme d'abord
: l'année universitaire française
est plus courte que les autres. Les enseignants
français sont moins proches de leurs élèves
en même temps qu'ils sont tout puissants
: ils sont à la fois rois et dictateurs
: ils font la pluie et le beau temps et j'ai remarqué
quelquefois que leur notation des mémoires
ou des thèses ne correspondait pas à
la qualité (ou au manque de qualité)
des travaux présentés. A tel point
que l'ancien " doctorat français de
troisième cycle " a été
rebaptisé : le niveau de ces thèses
françaises ne correspondait pas à
celui exigé aux USA pour le même
diplôme et cela finissait par discréditer
l'enseignement supérieur français
aux yeux des étrangers. C'est pourquoi
ce " faux doctorat " est devenu le DEA
: un diplôme qui, selon moi, n'a pas beaucoup
d'intérêt.
Il me semble que les étudiants français
sont desservis par cette toute puissance des enseignants.
J'ai enseigné à Nanterre pendant
quelques mois en 1994 et j'ai constaté
avec surprise que les étudiants étaient
extrêmement passifs, sans doute trop habitués
à leurs cours magistraux.
Aux Etats-Unis comme au Mexique, c'est l'inverse
: les enseignants et les élèves
entretiennent des rapports privilégiés
(mes étudiants me tutoient, me téléphonent)
et les cours sont moins formels. En contrepartie,
les professeurs exigent énormément
de leurs étudiants. Les thèses américaines
et mexicaines ne sont pas des compilations d'informations
mais de vraies démarches de réflexion.
Enfin, pour revenir à la France, j'ai constaté
avec amusement que les Français fustigeaient
régulièrement l'individualisme américain.
Or, c'est dans les universités américaines
et certainement pas dans les universités
françaises que l'on apprend le travail
d'équipe, dès les premières
années d'études. Les étudiants
français ne sont pas habitués à
cela et, de ce fait, ils sont souvent assez rigides.
Vous semblez particulièrement séduite
par le système américain.
Oui, j'ai été conquise par mon expérience
aux Etats-Unis. Les enseignants américains
jouissent d'une grande liberté. Et il règne
dans les campus une ambiance particulière
: beaucoup d'universités (je parle de celles
qui ne sont pas situées dans les grandes
villes) fonctionnent comme de petites communautés,
ce qui donne lieu à une interaction très
bénéfique. Au sein de ces campus,
de nombreux postes sont réservés
aux étudiants (ils peuvent être notamment
assistant de recherche ou professeur-assistant).
Pour avoir fait moi-même cette expérience,
je la trouve à la fois intéressante
et motivante. C'est une façon intelligente
de professionnaliser les étudiants.
Aux Etats-Unis, par ailleurs, il existe une vraie
transparence dans le domaine universitaire : chaque
année, les universités sont classées,
matière par matière, de façon
extrêmement rigoureuse. On sait réellement
où on va. Malheureusement, ce qui était
stimulant il y a vingt ans est devenu aujourd'hui
assez malsain. Il y a actuellement une telle compétition
entre les universités américaines
qu'elles se " volent " entre elles leurs
enseignants et ceux-ci, forcés de maintenir
leur " compétitivité ",
multiplient les publications et les colloques.
C'est une véritable surenchère !
Enseigner aux Etats-Unis aujourd'hui, c'est avoir
une vie de fou !
Le Mexique des années 2000 ressemble aux
Etats-Unis d'il y a vingt ans : les enseignants
sont motivés et très impliqués
sans être pour autant des " bêtes
de travail " rivées à leurs
ordinateurs.
Quelles sont les spécificités
de l'enseignement mexicain ?
Lorsque j'ai commencé à enseigner
en 1974 mon salaire était quasiment équivalent
aux salaires américains mais la catastrophe
économique des années 80 a donné
lieu, entre autres conséquences, à
une diminution importante du salaire des enseignants.
Conscients de l'impact néfaste qu'une telle
mesure pouvait avoir sur la qualité de
l'enseignement, les Mexicains ont mis au point
un système original et ingénieux
: le " sistema nacional de investigadores
" plus communément appelé le
SNI. Il s'agit en fait d'une bourse (répartie
selon trois niveaux) dispensée aux chercheurs
en plus de leurs salaires d'enseignants, en fonction
de la productivité de leur recherche. Si
tous les universitaires titulaires d'une thèse
peuvent postuler, il n'y a cependant pas autant
d'élus que d'appelés : seuls 6000
enseignants bénéficient de ce privilège
qui a fait faire un véritable bond en avant
au Mexique. Je profite moi-même du SNI (au
niveau 3 qui est le plus élevé)
et cela multiplie par deux mon salaire de professeur.
Preuve de la qualité de la recherche au
Colegio : il rassemble à lui seul 30% des
bénéficiaires du SNI à son
plus haut niveau. L'institut d'investigations
sociales de l'UNAM est également très
compétitif.
Un autre privilège réservé
aux enseignants mexicains est celui des années
sabbatiques : nous travaillons 6 ans et nous pouvons
ensuite consacrer la septième année
à ce que bon nous semble moyennant le même
salaire. Cette opportunité est renouvelable
tous les six ans. Je l'ai mise à profit
pour me rendre, en tant que professeur visitant,
dans différentes universités américaines.
Dernier constat qui concerne cette fois l'enseignement
pur : j'ai remarqué que mes étudiants
avaient une trop grande tendance à l'érudition
- séquelle léguée par le
patrimoine culturel latino-américain. Ainsi,
en sociologie, ils sont souvent très "
marxistes " et très dogmatiques avant
de se mettre à faire des hypothèses.
Il faut les obliger sans cesse à être
concrets.
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