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Carnet
de route
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Le centre historique de la Havane,
brûlant sous le soleil, est
la vitrine de Cuba ; tout plus qu'ailleurs
y est concentré : les marchés
aux livres, les expositions, les magasins
Pas un jour sans fête, pas un
café sans musique, pas d'immeuble
ni de rue sans histoire. La cathédrale,
le Capitole, le Théâtre
national, les hôtels Santa Isabel
et Ambos Mundos sont de magnifiques
surprises offertes à tous les
coins de rue. Sur la place du Capitole,
de longues files d'attente se pressent
sous la chaleur terrible à
l'arrivée des bus, gobant dans
des petits gobelets en carton des
glaçons parfumés à
la cerise. De la beauté en
vitrine, dont la tristesse transperce
le décor. Une clocharde fume
le cigare et fait payer les photos
que les passants, attirés par
sa drôle apparence, ne manquent
pas de prendre ; des musiciens de
rue reprennent les airs du Buenavista
social club aux terrasses des cafés
(hors de prix) et ne vivent que de
pourboires. De ravissantes jeunes
filles aguichent les touristes ; elles
se prostituent, gaiement semble-t-il.
Les enfants dansent et rient puis
demandent de l'argent. Les hommes
interpellent sans cesse les étrangers,
et entament une discussion cordiale
qui a toujours un but illégal
: cigares, taxis, chambres chez l'habitant.
Tout est illégal pour les Cubains
qui veulent des dollars. Les policiers
surveillent : dès qu'un Cubain
parle à un touriste, il est
un contre-révolutionnaire potentiel
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Tout
a la couleur des années
50 : les voitures sont pour l'essentiel
de vieilles Chevrolet énormes
ou de petites carcasses inquiétantes,
les cafés et les boîtes
de nuit passent en boucle une
musique mièvre qui n'a
pas changé en quarante
ans, les side-cars vrombissent
dans les rues et emportent des
femmes élégantes
dont le casque de moto recouvre
le châle, les hôtels
de luxe ont des ascenseurs à
grille
Il est surprenant
de voir, à l'Hôtel
Ambos Mundos (où descendait
Ernest Hemingway) ou au Café
Bodeguita del Medio (simple comptoir
qui lui non plus n'a pas changé
depuis cette époque mythique
où les intellectuels du
monde entier venaient y boire
leurs mojitos) les touristes s'efforcer
de prendre l'attitude des héros
du socialisme. On peut voir des
Allemands, des Péruviens,
des Mexicains, des Hollandais
arborer fièrement leur
barbe en collier façon
Che Guevara, de vieux alcooliques
au teint d'écrevisse et
à la barbe blanche fumer
le cigare comme Hemingway, des
musiciens immigrés prenant
les rides et la voix de Compay
Secundo
Nous avons vu dans
le hall de l'Ambos Mundos le spectacle
grandiose et pathétique
d'un vieil écrivain sans
doute éméché,
immobile, assis dans un fauteuil
pendant plusieurs heures, fixant
avec des yeux perdus un portrait
peint d'Hemingway
Au fur
et à mesure que l'on
s'éloigne de la Vieille
Havane, la pauvreté augmente.
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Vedado
A Vedado, la
concentration de touristes
est moins grande : moins de
cafés, de fêtes
et de salsa. La rue est silencieuse
mais animé par la vie
tranquille et mystérieuse
des Cubains.
Presque aucun magasin, si
ce n'est l'étonnant
marchand de glace, le Coppelia,
seul endroit de la Havane
où l'on peut acheter
des glaces en pesos cubains
! Les malheureux Cubains,
qui voient tous les jours
les touristes payer en dollars
des glaces à leurs
enfants, forment des files
d'attente gigantesques qui
durent toute la journée,
et attendent leur tour sous
le soleil. Simplement pour
acheter des glaces ! Le tout
est orchestré par la
police, sous une affiche de
Fidel Castro. Tout prêt,
on trouve encore quelques
hôtels de luxe dont
l'énorme et massif
Hôtel Colonial.
La chaleur permanente rend
épuisante la moindre
promenade. Mais, partagé
entre l'émerveillement,
la compassion ou la colère,
on y vit toujours quelque
chose. Un groupe de vieillards
torses nus, assis toute la
journée devant la porte
de leur appartement (des fonctionnaires
!), vous interpelle pour se
faire prendre en photographie,
des jeunes pleins de ressource
veulent vous vendre tout ce
qu'il est possible de vendre,
jusqu'à leur seule
conversation, puis vous donne
leur numéro, leur adresse
et promettent de vous écrire
en France ; on trouve toutes
les trois rues un groupe de
quadragénaires occupés
à réparer une
ruine à quatre roues
qui finira par rouler, une
jeune mère qui allaite
son enfant, une file d'attente
pour les inscriptions sur
la liste électorale,
une matrone qui tend quatre
billets de vingt dollars à
une adolescente. On a le sentiment,
enfin que tous ces gens sont
en train de gagner leur vie
en s'occupant à des
besognes plus ou moins secrètes.
Il y a un ordre dans ces rues,
où personne ne semble
travailler. On voit aussi,
plus tristement, des jeunes
filles ravissantes mais ivres
de rhum ou le visage déformé
par la drogue qui enlacent
les passants, et des enfants
maigres qui font l'aumône,
parfois âgés
de moins de quatre ans.
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La
Lisa
La Lisa, plus éloignée
du centre, se trouve encore un cran
plus bas sur l'échelle de la
pauvreté. On y trouve de vrais
bidonvilles cachés entre les
arbres sur le bord de la route, des
rues de sable sec se faufilant entre
des maisons faites de bois et de tôle,
encore plus d'enfants plus maigres
et de vieillards désuvrés.
Les habitants de la Lisa n'ont l'eau
courante que douze heures par jour,
pas de téléphone évidemment,
et l'électricité est
coupée régulièrement
sur décision du gouvernement
par mesure d'économie. On trouve
parfois dans les baraques de vieilles
télévisions et des postes
de radio préhistoriques qui
ne fonctionnent pas. Un seul ventilateur
permet de brasser l'air épais
et chaud, mais ne suffit pas à
le rafraîchir. Sur les murs,
des photos de chanteuses américaines
des années 60, et sur les armoires,
quelques bouteilles vides complètent
la décoration. Il n'y a pas
de mur ni de porte. On a seulement
étendu des draps ou construit
des armoires pour délimiter
les chambres. Tout ce qui est en état
de marche, qu'il s'agisse d'un lecteur
de cassettes, d'un réfrigérateur
(luxe suprême) ou d'une radio,
a été obtenu par des
relations, ou plus souvent encore
par troc. Dans cette moiteur sombre
et pesante, le Cubain moyen ne fait
rien ou boit du rhum.
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Cuisine
La plupart des magasins et
des restaurants n'acceptent
que les dollars. Pour les
Cubains ou les touristes soucieux
de faire des économies,
des marchés couverts
offrent un choix limité
de denrées peu fraîches
: buf, porc ou poulet
(selon les jours) à
même les planches des
étales et déjà
marqués par la chaleur,
riz, calebasses, courgettes,
piment, oignon et ail, ainsi
que ce fromage aigre qui ressemble
à du beurre, la mantequilla.
C'est tout. Les habitants
de l'île, qui se les
procurent grâce aux
tickets de ravitaillement
mensuels, font par conséquent
une cuisine peu variée,
lourde, huileuse
mais
très savoureuse.
Taxis
On trouve de nombreux taxis
dans les rues : les grosses
Chevrolet servent de taxis
collectifs, les taxis-bulles
à trois roues, les
taxis-vélos pour de
courtes distances, amusants
mais lents, les taxis nationaux,
qui n'ont pas le droit de
prendre des touristes pour
passager, mais qui le font
souvent, et surtout les illégaux,
très fiables, sympathiques
et plutôt moins chers
que les autres, selon la capacité
de négociation. Dans
tous les cas, il est nécessaire
de fixer le prix de la course
avant de monter pour éviter
les mauvaises surprises.
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Télévision
La programmation de la télévision
cubaine est simple : trois chaînes
se partagent dessins animés
ou séries pour enfant,
base-ball et musique, sauf trois
fois par jour, au moment des
informations, ou à chaque
événement politique
: c'est alors, sur toutes les
chaînes réunies,
de longs discours de Castro,
des nouvelles alarmantes sur
le reste du monde (un Cubain
m'a demandé si avec 30
% de chômage, la France
n'était pas trop difficile
à vivre !), et bien sûr
des reportages sur Cuba : "
l'agriculture a Cuba ",
" la rentrée des
classes à Cuba "
Il est difficile de ne pas devenir
fou devant la propagande répétitive,
les formules ressassées
inlassablement, les mêmes
qu'on lit sur les affiches et
dans les livres : " Un
socialisme fort pour un peuple
uni ", " Etre idéaliste,
c'est être réaliste
", " L'esprit de la
révolution doit battre
sans cesse dans ton cur
"
Il est important
de comprendre que la vie politique
est très animée
à Cuba ; il ne se passe
pas deux jours sans qu'un événement
ne motive un discours, une célébration
ou une fête. Il ne se
passe pas une journée
sans que Castro soit filmé
puis passé en boucle.
Heureusement, de nombreux films
sont diffusés, américains
pour la plupart. La télévision
est convoitée par tout
le monde ; ceux qui ne l'ont
pas vont chez leurs voisins.
Toute la journée, on
aperçoit par les fenêtres
ouvertes parfois dix personnes
assises à la regarder
Peut-on encore dire que la Havane
est belle ? Oui, mille fois
oui, belle sous la chaleur sèche,
car immobile dans sa beauté
et pleine de son histoire.
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©Un
Monde à penser 2002
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