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Carnet
de route
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Los
Angeles : la ville qui n'existe
pas
Il ne faut pas se tromper de
point de chute lorsqu'on arrive
à Los Angeles. Chaque
quartier est un monde et le
premier regard est déterminant.
Il y a Hollywood, bien sûr,
sale et pauvre, dont les mendiants,
hagards ou complètement
fous, s'amusent à effrayer
les touristes ; il y a Beverly
Hills, où des arbres
épais dissimulent des
propriétés aux
architectures extravagantes
et démesurées;
il y a Westwood Village, propre
et tranquille, dont les rues
se remplissent le soir de jeunes
filles en tenue de cocktail
qui fument le narguilé
aux terrasses des cafés
; il y a les plages à
perte de vue, à l'Ouest,
où une foule permanente
nage, bronze, et joue au beach
volley avant de faire un tour
de grande roue en avalant des
barbes à papa. ; il y
a The Valley (capitale mondiale
et discrète du cinéma
X), au Nord-Ouest, où
la chaleur fait trembler dans
l'horizon les rangées
de maisons parallèles
et basses ; il y a le centre
où tout à coup
se dressent des gratte-ciels
vertigineux, plongeant les rues
en pente dans une ombre perpétuelle,
et où l'on ne se rend
que pour travailler.
Mais pour l'essentiel, la ville
n'existe pas : elle est invisible.
On ne la trouve nulle part entre
les bretelles d'autoroutes,
les ponts, les avenues interminables
et rectilignes, les immenses
parkings au pied des centres
commerciaux. On ne voit que
les enseignes des magasins et
les voitures, partout et tout
le temps. Pas d'immeubles, de
restaurant ni même de
maisons sur des kilomètres
et des kilomètres.
Il ne faut pas se tromper, donc,
car un hôtel choisi au
hasard peut se trouver dans
un quartier louche, pauvre,
dangereux, trop cher, ou pire
: dans un désert. Alors
le moindre déplacement
devient une aventure.
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Histoire vécue
Notre premier hôtel s'appelait
Park View Hotel, parce ce que
de ses fenêtres sans rideaux
on pouvait voir s'étendre
à perte de vue un
parking. Dans ces déserts,
chaque rencontre est inquiétante.
Car qui, à part un étranger
ayant commis une erreur, peut
vivre dans ces taudis isolés
?
Premier dialogue avec un Californien
: sorti du taxi pour demander
le prix de la chambre au gérant
de l'hôtel, j'interrompons
sans le vouloir un gros homme
barbu et tatoué aux joues
gonflées par des dents
mal placées.
- Tu t'es pas rendu compte que
tu m'interrompais ?
- Excusez-moi, je
- Je suis en train de parler,
je suis en plein milieu d'une
conversation, tu arrives et
tu m'interromps sans même
me regarder, sans me demander
pardon ni t'excuser, tu te fous
de moi ? Tu veux vraiment que
je m'énerve
Je me fais ainsi violenter pendant
cinq bonnes minutes (le compteur
tourne), puis la brute conclut
: " Alors, tu fermes ta
gueule, tu attends ton tour
et tu me laisses finir ma conversation.
" Puis il se tourne calmement
vers le gérant, avec
une lueur de malice dans les
yeux, et lui dit " Bon
ben salut, on se voit plus tard.
" et s'en va la tête
haute.
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Hollywood Boulevard
A Hollywood, bien sûr,
il n'y a pas que l'errance et
la pauvreté. Il faut
s'y rendre pour voir les Charlots
en cire, les rues pavées
d'étoiles qui portent
le nom des vedettes passées
et présentes, les architectures
complexes des centres commerciaux
qui rivalisent d'immensité,
les magasins de perruques, de
sous-vêtements et d'accessoires
sexuels, les " diners ",
les pizzerias bon marché,
les boutiques de souvenirs,
de photos, de vieux disques,
de gadgets désuets et
les cafés, enfin, où
se jouent tous les soirs des
spectacles comiques ou musicaux.
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Sunset Boulevard
Si vous conduisez une voiture,
la promenade la plus édifiante
est toute indiquée :
suivez Sunset Boulevard d'Est
en Ouest. L'avenue mythique
symbolise aujourd'hui plus que
jamais auparavant l'apartheid
américain.
En partant du centre, vous verrez
sur votre gauche les gratte-ciels
d'argent des banques et des
grandes entreprises, puis l'avenue
devenant déserte, vous
pourrez apercevoir, au Nord
cette fois, la colline d'Hollywood
et, en même temps, vous
remarquerez la saleté
grandissante des rues perpendiculaires
dont le spectacle est triste
et pauvre malgré le soleil.
Pendant presque un quart d'heure,
le boulevard se prolonge sans
rien qui arrête le regard,
si ce n'est la publicité
des bars et des boîtes.
Puis, tout à coup, comme
ayant franchi une barrière
invisible, l'avenue zigzague
à Beverly Hills : propre
et bleue, elle longe l'ombre
des haies à travers lesquelles
on aperçoit parfois le
fronton blanc d'une propriété
aux dimensions démesurées,
le jardin orné de statues
d'un milliardaire, ou le parking
encombré
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de
Porsche et de Mercedes d'un héritier
chanceux. Cette traversée
merveilleuse dure encore vingt
minutes avant que la ville ne
réapparaisse, timide, clairsemée
et lointaine, conforme à
sa réalité. La ligne
droite, déserte, qui mène
au Pacifique est blanche par sa
lumière et ses constructions.
Enfin le parfum de la mer entraîne
avec lui une densité plus
grande de commerces et d'hôtels,
et l'avenue s'arrête à
l'océan. Au Nord, Malibu
et la Valée, au Sud, Monica
et les belles Californiennes
Voilà, vous avez rencontré
Los Angeles ! |
San
Francisco
Plus resserrée, plus
dense, plus petite et plus haute
que Los Angeles, San Francisco
est enfin une vraie ville :
intense. Les rues sont étroites,
longues, cernées d'immeubles
aux briques rouges, et animées
de temps en temps par les cris
des cireurs de chaussure ou
la prêche urbaine des
évangélisateurs.
On voit comme à New York
s'échapper la vapeur
blanche des égouts et
la chaleur tremblante des trottoirs.
A chaque coin de rue, une pente
aiguë dévale par
paliers les collines. Les tramways
" Colin and Powell "
s'y jettent en avant, et c'est
un miracle permanent s'ils ne
laissent aucun passager tomber
dans leur course. On croise
sur le même trottoir des
hommes d'affaires, des Chinois,
des Italiens, des noirs qui
font partie du même monde
et que le café du coin
réunit dans leurs habitudes.
On voit aux portes du Hilton
des clochards fouiller les poubelles
ou se moquer de passants : une
vraie ville où la richesse
et la pauvreté se regardent
en face. Et puis chaque boutique,
chaque restaurant a sa nationalité
et des clients de toutes les
nationalités.
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San Francisco est une ville
du Far West : les clubs de jazz
et les cafés sont encore
des saloons où l'on ne
s'étonnerait pas de voir
rentrer par des portes revolver
un cow-boy éméché.
Internet a remplacé l'or,
et les start-ups en faillite
sont les mines abandonnées
du XXIème siècle
; mais c'est la même aventure,
le même courage du changement,
le même espoir de faire
fortune qui attirent les immigrants.
Autour du centre naissent et
meurent les villes champignons
et les villes fantômes,
dont la population peut augmenter
ou chuter de moitié en
quelques années. Car
la baie n'a pas comme à
Los Angeles les industries du
loisir et du cinéma pour
survivre aux crises fulgurantes
du marché des technologies.
San Francisco est une vieille
ville qui vit de produits neufs.
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La ville est un rond dessiné
par la mer, au sein duquel les
collines retiennent en été
les nuages jusqu'à la
tombée du jour : alors,
après que le soleil a
brûlé les trottoirs,
un brouillard froid descend
lentement dans les rues et colore
leur charme d'un pinceau impressionniste.
Les trains municipaux (les "
Munis ") descendent vers
le sud en longeant la baie sur
leur gauche et s'enfoncent dans
la banlieue longue et tranquille.
Le métro, le bus et les
tramways parcourent le damier
diagonal avec leur habitude
urbaine. Et puis quelle liberté
! On descend, on monte, on marche
on court et on roule dans ses
quartiers qui portent tous la
marque de leur identité.
Le touriste est déçu
car les places et les monuments
n'ont finalement rien à
faire valoir à côté
des immeubles communs et des
carrefours normaux. Tout a du
charme. Tout a de la couleur.
Tout est meublé de poésie
urbaine. Quelle importance de
se rendre au Panamerican building,
à Chinatown, sur la baie
ou l'Union Square ? On ne visite
pas San Francisco : on doit
y vivre.
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©Un
Monde à penser 2002
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