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Rencontre avec Eric Benoist, directeur général de Pernod Ricard Japon

 

" Le manque d'imagination du marketing japonais nous laisse autant d'opportunités de nous faire reconnaître"

Diplômé de l'ESCP-EAP en 1984, Eric Benoist poursuit un parcours professionnel classique jusqu'en 1997 : il devient alors directeur marketing de la zone Asie pour Pernord-Ricard. Trois ans plus tard, il est nommé directeur général de Pernord Ricard Japon. Il nous présente aujourd'hui une entreprise à forte personnalité qui évolue avec succès dans un marché japonais déroutant.

Pouvez-vous retracer pour nous votre parcours professionnel ?
Pas vraiment un parcours d'expatrié ! Diplômé de l'ESCP en 1984, je suis parti en coopération au Cameroun chez Rhône-Poulenc comme responsable commercial. Je partais vendre de la soude caustique parfois au kilo dans ma vieille Renault 18 ! C'était passionnant, mais dix-huit mois m'ont suffi. Je suis ensuite retourné en France suivre une carrière plus classique : chef de produit chez Balsen, puis chez Henkel. Je suis rentré chez Pernod-Ricard en 1993 au siège du groupe, en tant que responsable marketing. En 1997, je suis devenu directeur marketing de la zone Asie, et j'ai pris le 1er mars 2000 le poste de directeur général de Pernod-Ricard Japon que j'occupe actuellement.

Quelles sont les compétences apportées par le groupe Pernod-Ricard au Japon ?
L'esprit d'initiative, en premier lieu. La culture d'initiative est très forte chez Pernod et très faible au Japon. Nous aidons nos employés à développer leur autonomie, qui fait partie de l'identité du groupe, car où qu'elle soit, une filiale doit être en ligne avec la philosophie de l'entreprise. Deuxièmement, nous apportons notre technicité, notre savoir-faire marketing : " mettre l'ambiance ", animer un supermarché ou un restaurant… Partout, nous avons su importer ces techniques avec succès.

Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés en tant que manager expatrié ?
En tant qu'expatrié, d'abord, j'ai été victime de mon tempérament latin : quand la météo annonçait un typhon, je me disais : " Ca se verrait " ! Et la réalité m'a toujours donné tort. Les Japonais font confiance aux informations, ils n'ont pas peur de croire ce qu'ils ne voient pas. Mais en tant que manager , j'ai fait l'expérience inverse : mon réflexe a toujours été d'innover, de chercher de nouvelles techniques de vente. Or, au Japon, l'attitude consiste à penser : " Cela n'a jamais été fait, ça ne marchera pas " (C'est particulièrement vrai pour la Force de Vente, impossible à faire bouger) Or, dès qu'ils font l'effort d'essayer, les Japonais obtiennent de très bons résultats. Ils sont avides de perfectionner leurs méthodes.

Quelle relation entretenez-vous avec vos employés ?
Pour un manager étranger, le risque est de se transformer en autocrate, car ce que dit le chef n'est pas contestable. Tout ce que je décide a valeur de loi, et la tentation est grande de se transformer en pacha. Car à prendre ainsi des décisions souveraines, on finit par décider à l'aveuglette. Les syndicats sont des partenaires de négociations, mais jamais des activistes. La seule chose qui les fait " tressaillir ", et le terme est encore trop fort, c'est la remise en cause des avantages acquis. Et même alors, l'opinion remonte doucement et officieusement à mes oreilles : il m'appartient alors de prendre une décision… ce que beaucoup se permettent de ne pas faire. Heureusement, j'avais conscience du problème dès mon arrivée à Hong-Kong en 1997, lorsque je n'étais encore que directeur marketing. En arrivant au Japon, je savais que je devrais résister à la tentation de gouverner seul. C'est la raison pour laquelle je pousse littéralement mes employés à me dire ce qu'ils pensent.

Quels sont vos principaux concurrents au Japon ?
Ce sont d'énormes entreprises de brasserie, qui vendent toutes les boissons, de l'eau aux spiritueux en passant par la bière. Ils ont 2000 vendeurs alors que nous en avons seulement 40. Elles sont en général peu profitables et peu innovantes… mais très puissantes. Elles possèdent un imposant réseau de grossistes sous contrat d'exclusivité, ce qui rend la situation plus difficile pour les petite structures comme la nôtre.

Comment luttez-vous contre cette concurrence ?
Nous essayons précisément de tirer profit de notre dynamisme et de notre créativité : depuis dix ans, Pernod-Ricard Japon est largement profitable. Un exemple : la seule campagne marketing connue des Japonais était : " Ce soir, le verre vaudra 300 yens " ; ces campagnes étaient très coûteuses et la facture s'élevait souvent à 5 millions de yens. Nous avons décidé de ne pas donner d'argent aux boîtes de nuits, karaokés ou restaurants, mais nous leur proposons en revanche d'animer la soirée. En cela, Pernod Ricard est une entreprise événementielle… pour des raisons marketing. Autre exemple, 90 % des publicités télévisuelles pour l'alcool représentent une star qui goûte le produit et dit : " C'est bon. " PR a donc un champ de positionnement entièrement ouvert : nos produits ont tous une identité, représentent des valeurs dans lesquels le consommateur peut se reconnaître, bref, une publicité plus occidentale. Enfin, cela a l'air idiot mais a toute son importance : nous sommes la première entreprise de vins et spiritueux à avoir accroché des cadeaux à nos bouteilles, ce qui a beaucoup marché. En un mot, le manque d'imagination du marketing japonais nous laisse autant d'opportunités de nous faire reconnaître. Nous rentrons toujours dans la brèche : dès qu'on me dit " ça n'a jamais été fait ", je réponds " eh bien essayons ".

La crise n'a-t-elle pas eu une conséquence directe sur la consommation d'alcool, sur les sorties… ?
Evidemment, les Japonais sortent moins, et surtout, ce ne sont plus les entreprises qui les paient. Globalement, le marché s'est dégradé, ce qui ne frappe pas le touriste qui vient pour la première fois à Tokyo : il voit encore à Ginza les 50 bars par rue ; mais il y en avait 100 avant la crise ! Mais dans toute crise il y a des opportunités à saisir…

Quel est le comportement général du consommateur japonais ?
Le Japonais est très intéressé par les marques, la typicité des goûts, les processus de fabrication. La culture des vins et spiritueux est très développée, et il est commun de voir dans les bars japonais le consommateur parler au barman du " goût de boisé " de tel ou tel whisky. En revanche, le consensus, ce phénomène si typique du Japon se retrouve très distinctement dans les études de qualité : au départ, lorsque nous devions tester un nouveau produit, nous rassemblions, comme en France, un panel de dix consommateurs autour d'une table pour recueillir leur avis. Peine perdue ! Si le premier disait " j'aime ", les autres se rangeaient systématiquement à son opinion. Nous avons d'abord pensé que notre produit serait un succès, mais pris de doute, nous avons recommencé l'opération : nous avons obtenu dix avis négatifs ! Par simple esprit de consensus ! Finalement, nous avons pris l'habitude de ne réunir que trois consommateurs, ce qui nous donne des résultats plus fiables…

Quel rôle jouent les filiales du groupe Pernod Ricard par rapport à la maison-mère, et plus généralement, que gagne une entreprise à expatrier ses cadres ?
Tout d'abord, pour répondre à la première partie de votre question, le vente de spiritueux est le métier le plus mondial du monde ! Car il n'y a pas plus fidèle à la marque qu'un consommateur d'alcool : le buveur de Chivas boira du Chivas partout où il en trouvera. L'essentiel est qu'il en trouve. La stratégie internationale de Pernod Ricard repose sur ce principe fort, et en fait aujourd'hui le troisième opérateur mondial de vins et spiritueux. On est bien loin de la vision française : " Pernod, le roi du pastis et rien d'autre ".
A votre deuxième question, je répondrai que les expatriés servent de stimulus à une entreprise, encline à s'épuiser avec le temps, à reposer sur ses lauriers. Chaque région du monde est un nouveau marché à découvrir, à comprendre, ce qui permet non seulement de relancer une activité, mais aussi de trouver de nouvelles idées à exploiter sur le marché d'origine. Il y a en outre une notion très forte, en particulier chez Pernod Ricard, qui est l'identité de l'entreprise : je me sens plus citoyen de Pernod-Ricard que citoyen français. Je défends les valeurs de mon entreprise avant de défendre mon pays.

 

©Un Monde à penser 2002

 

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