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Rencontre avec Nathalie Gigandet, directrice marketing de Nissan

 

" Les Japonais sont à la fois avides et impatients d'appliquer les méthodes occidentales "

Directrice Marketing chez Nissan depuis la fusion avec Renault, Nathalie Gigandet a une vision doublement critique de la culture japonaise : d'abord en tant que manager, puis en tant que femme. Elle donne son point de vue sur la fusion historique des deux géants automobiles, sur l'évolution du statut de la femme japonaise, sur la sclérose du système éducatif en général et universitaire en particulier.

Racontez-nous la fusion entre Renault et Nissan vue du point de vue japonais.
C'est une réussite aussi rapide que surprenante. Il faut d'abord considérer l'ampleur de l'opération : Renault a injecté 5 milliards d'euros dans le capital de Nissan en 1999, ce qui a fait de la France cette année-là le plus grand investisseur étranger au Japon. Avant, l'étranger c'était l'Amérique ! Les Japonais découvrent l'Europe et la connaissent de mieux en mieux. Et puis il y a le personnage de Carlos Ghosn, que Louis Schweitzer a choisi pour opérer la fusion. Il a fallu tout le talent diplomatique de ce polytechnicien d'origine libanaise pour qu'elle se fasse sans douleur. Mais la seule intelligence de Ghosn ne suffit pas à expliquer son succès complet (la fusion s'est faite en deux ans au lieu des trois prévus) : selon moi, Ghosn a été accueilli au Japon comme le symbole du ras-le-bol des Japonais à l'égard de leurs dirigeants d'entreprise et même de leur classe politique. Tout semble montrer qu'ils sont à la fois avides et impatients de mettre en œuvre les méthodes occidentales.

Quels sont les changements que vous avez pu susciter chez Nissan ?
Je leur demande, à grand peine, de l'imagination et de la réflexion. Ca n'a l'air de rien comme ça, mais j'y consacre le plus clair de mon temps. Je suis la première notamment à avoir embauché des stagiaires. Au départ, le concept même leur était inconnu pour deux raisons principalement : quand on rentre dans une entreprise japonaise, c'est pour la vie. Pas question, donc, d'y rester six mois et de retourner à l'université. Ensuite, c'est l'entreprise qui fournit le cercle réel d'apprentissage des métiers : les universités n'ont pas pour vocation de fournir un savoir pratique. Conséquence : on n'y apprend rien ! Seul compte le nom de l'université dont on est diplômé. Nissan recrute parmi les trois ou quatre meilleures universités, mais, paradoxalement, n'attend rien des nouveaux employés. Quand on est une femme, notamment, on peut passer quatre ans à servir le thé avec un diplôme de l'Université de Tokyo !

Quelle est à ce propos votre opinion sur le statut de la femme japonaise ?
Il y a encore un chemin énorme à faire. Dès qu'une femme accouche, elle devient l'esclave de ses enfants, et son mari la délaisse. Lorsque vous voyez - chose rare - des hommes et des femmes dîner ensemble au restaurant, ce sont des collègues de travail et jamais des couples. Car les mères restent chez elles. C'est la raison pour laquelle de plus en plus de femmes veulent être embauchées dans des entreprises étrangères, où elles ont l'opportunité de faire carrière. Et même dans ces cas-là, il leur faut beaucoup de courage et d'ambition. Il faut lire sur ce sujet Oe Kenzaburo (NDLR : Prix Nobel de littérature) qui parle de l'ambiguïté de la famille japonaise : le père se dévoue entièrement à l'entreprise et la mère à ses enfants, ou à son enfant car ils sont souvent uniques. On attribue d'ailleurs au faible taux de natalité le comportement d'enfants gâtés des Japonais. Le " mother Com " (Le " Complexe d'Œdipe " étant un concept trop intellectuel pour eux) est un phénomène exacerbé.

Mais la liberté sexuelle est grande au Japon ?
Oui et non. La pilule, réservée aux femmes de " petite vertu ", n'y a été autorisée qu'en 2001, tandis que les préservatifs y sont plus vendus que nulle part ailleurs. Avant le Sida, le Japon représentait 25 % de la demande mondiale ! C'est un objet de la vie courante, ce dont témoigne notamment Condomania, le magasin " branché " de Harajuku. Mais l'efficacité du préservatif étant ce qu'elle est, le taux d'avortement au Japon est dix fois supérieur à celui de la France. De fait, la sexualité pose un grand problème au Japon. La pornographie, même douce, y est omniprésente. Un cas, d'ailleurs, inquiète particulièrement le modèle social si solidement intégré : celui des fous.

Qu'en est-t-il du système éducatif japonais ?
Il faut lire les journaux : " Tout fout le camp dans les écoles japonaises ! " Le mythe s'est véritablement écroulé. Tout d'abord, l'apprentissage de la langue occupe quinze années de la vie scolaire. Il y a certes moins d'un pour cent d'analphabètes au Japon, mais pour faire autre chose, il faut aller dans le privé. Les gamins ne dorment que neuf heures par jour, et la sélection dans les meilleurs lycées se fait dès l'âge de douze ans… par QCM. La dissertation n'existe pas au Japon : il n'y a pas d'enseignement du débat. L'éducation se focalise sur la production, pas sur la pensée. Toute idée doit être mise en objet. C'est la raison pour laquelle les Japonais excellent dans tout ce qui est " Hardware ", mécanique, mais pour la conception de logiciels, ils sont nuls ! L'explication de cette différence avec l'Occident vient peut-être de leur langue, très visuelle, très concrète, qui non seulement entraîne leur intelligence essentiellement à la mémoire mais qui leur donne aussi plus de difficultés pour l'abstraction.
Quoi qu'il en soit, le système éducatif japonais est une sclérose en plaques : depuis trente ans, le gouvernement prévoit de la réformer, en particulier en admettant les redoublements. Au Japon, l'âge est sacré, et il serait inadmissible de mettre dans une même classe des étudiants de différentes classes d'âge. Mais récemment, le gouvernement a permis aux meilleurs étudiants de rentrer dans la filière scientifique un an à l'avance…

Et dans le monde de l'entreprise ?
Le management japonais est conditionné par la mise en matière : il n'existe pas de stratégie liée à la demande, mais une simple optimisation des ressources productives. Dans le fameux modèle " toyotiste " du " flux tendu ", c'est l'aval qui pousse, pas l'amont. Conséquence : quand Renault a repris Nissan, l'entreprise nipponne avait en magasin plus de 65 modèles, tous plus solides, originaux - parfaits en un mot - mais pas un seul ne se vendait ! L'avis du consommateur est un domaine déserté par le marketing. Plus profondément, la productivité du tertiaire est désastreuse : car, si le management japonais excelle en bord de chaîne, la culture japonaise est telle que le service est compris. Personne n'irait monnayer la politesse, le dévouement ou le respect qui sont la base de la société japonaise.


©Un Monde à penser 2002

 

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