Rencontre
avec Claude Obadia, directeur de la branche argentine
de World Challenge
" Le mot crise n'est pas
adapté au cas de l'Argentine : il faut
plutôt parler d'une amputation "

Claude Obadia s'installe à Buenos Aires
en 1997 pour créer et diriger la branche
argentine de la société World Challenge,
implantée dans 85 pays. Si l'entreprise
de conseil en prospecting (il s'agit du design
et de la création de réseaux de
distribution internationaux) ne souffre pas directement
de la crise que traverse aujourd'hui l'Argentine,
Claude Obadia n'en est pas moins extrêmement
alarmé.
Pourquoi World Challenge et pourquoi l'Argentine
?
Je voulais prendre mon indépendance et
passer au consulting en créant ma propre
boite. Si j'ai choisi l'Argentine, ce n'est pas
par hasard : j'ai fait un MBA à Boston
en 1990 et j'ai rencontré alors plusieurs
Argentins qui sont devenus de bons amis. Arriver
en Argentine, ce n'était donc pas arriver
en terrain inconnu.
Comment s'est passée ton arrivée
en 1997 ?
En 1997, les perspectives étaient assez
bonnes même si tout le monde se lamentait
déjà. Les chiffres parlent d'eux-mêmes
: la croissance était de 7%, il y avait
40 milliards de dollars de réserve dans
les caisses, le taux de chômage ne dépassait
pas 10%.
Pourtant, pour beaucoup d'Argentins, la crise
ne date pas d'hier et elle était déjà
latente en 1997.
C'est faux. En faisant des analyses rétrospectives,
les gens mélangent tout. Ce qui est vrai
en revanche, c'est que le sentiment de crise existait
déjà, était déjà
palpable.
Comment ressens-tu la crise aujourd'hui ?
Je ne suis pas pour ma part directement touché
mais de façon générale, il
est devenu pénible de travailler en Argentine
: les gens sont désespérés
et se plaignent en permanence. Les cercles sociaux
sont d'ailleurs en train de se dissoudre peu à
peu : il y a énormément d'émigrations
et de départs non remplacés. C'est
frappant en ce qui concerne le réseau des
anciens de l'ESCP-EAP* : nous étions 25
il y a 6 mois et nous ne sommes plus que 10 aujourd'hui.
Que penses-tu de ces départs ?
Je les comprends ! 16 points de récession
ce n'est pas rien. En France, quand on perd un
point, c'est un drame généralisé.
Ici en Argentine, la catastrophe est d'une ampleur
sans précédent. Le mot " crise
" n'est même pas adapté : en
économie, une crise est un bas de cycle
qui précède une reprise. Dans le
cas de l'Argentine, il faudrait parler d'une amputation.
Les choses repartiront certainement un jour mais
sur une autre base.
La vie de tous les jours a-t-elle également
changé ?
Bien sûr. Aujourd'hui, on ne voit plus que
des monstruosités, et pour cause : 25%
de la population n'a pas de quoi manger. L'Argentine
est face à des problèmes dramatiques
de sécurité qui ne sont pas apparents
au premier regard. Il y des dizaines d'enlèvements
par jour, des meurtres… et il est impossible
de se fier à la police : elle est impliquée
dans 50 à 70% des délits comme l'attentat
contre l'ambassade d'Israël ou l'assassinat
récent d'un journaliste controversé.
La police est l'un des principaux facteurs de
délinquance dans le pays.
C'est d'autant plus terrible que ce pays semble
extrêmement attachant…
Oui, l'Argentine est un pays magnifique, immense
et très particulier qui offre des paysages
qu'on ne peut voir nulle part ailleurs. Les Argentins
sont attachants, l'accueil et l'amabilité
font partie de leur nature et malgré leur
détresse actuelle, ils trouvent encore
le moyen de faire bonne figure. Pourtant, ils
n'ont plus de travail, la dette du pays a été
multipliée par trois, toutes leurs économies
leur ont été ôtées…
En France, il suffit qu'on enlève un jour
de congé payé pour que 800 000 personnes
descendent dans la rue et pour que le pays soit
paralysé par les grèves pendant
un mois !
Contact : obadia@worldch.com.ar
* En arrivant en Argentine, Claude Obadia a pris
la tête du réseau des anciens de
l'ESCP-EAP dont il a lui-même été
diplômé en 1978. " Un réseau
dynamique qui fonctionne de façon coordonnée
avec les autres réseaux grandes écoles,
explique-t-il. A tour de rôle, nous parvenons
à organiser 4 ou 5 réunions par
an, nous avons souvent pu trouver du travail pour
les femmes d'expatriés et nous avons même
participé à la réalisation
de l'accord d'échange avec l'université
de San Andres. Je suis très heureux d'avoir
pris le temps de m'occuper de ce réseau
véritablement amical. Cela m'apporte de
grandes satisfactions. "
©Un Monde à
penser 2002
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