Rencontre
avec David Brady, vice-doyen de la Stanford Business
School

"nos
étudiants veulent savoir ce qui va leur
servir, ce qui est efficace, ce qui est réel.
Un MBA, c'est le real world "
Entretien avec
David Brady, vice-doyen de la Stanford Business
School, professeur de sciences morales et de sciences
politiques.
Quel est votre parcours professionnel ?
DB : Je n'ai pas fait d'études particulièrement
brillantes. Je suis diplômé en sciences
politiques de l'Université de Michigan
dans l'Ohio. A l'époque où les sciences
politiques sont devenues une science sociale,
je me suis spécialisé dans les études
statistiques. J'ai un peu travaillé en
entreprise puis je suis devenu professeur à
Stanford. Je n'ai pratiquement rien sur mon CV
! Je fais partie de ces professeurs schizophrènes
qui n'ayant pas fait d'étude passent leur
vie dans le milieu académique. Et je trouve
ça très bien : le MBA de Stanford
comporte de nombreux cours généralistes
donnés par des professeurs aux cursus sans
gloire mais bons dans leur domaine, ce qui ouvre
les horizons des étudiants. C'est ce qui
nous différencie de nos principaux concurrents,
Harvard et Chicago, qui sont beaucoup plus techniques
et théoriques.
Vous avez été conférencier
à l'ESCP-EAP à Paris. Quelles différences
vous ont frappé entre l'enseignement du
management en France et aux Etats-Unis ?
DB : Les Européens, de manière
générale, restent focalisés
sur le passé, ce qui donne à l'enseignement
un aspect très théorique et scolaire.
Aux Etats-Unis, nous étudions des cas et
nous les discutons. Les étudiants de l'ESCP-EAP
m'ont paru très intelligents et ils posaient
de très bonnes questions. Mais en France,
du moins d'après ce que j'ai compris, ils
n'ont que très peu d'opportunités
de mettre en pratique leur intelligence. Comment
un pays peut-il mettre en place une économie
dans laquelle il est si difficile de travailler
? Ca fait maintenant un bon bout de temps que
votre taux de chômage oscille entre 10 et
15 %, et vos impôts ralentissent l'embauche
Les réglementations du travail sont si
rigides que les meilleurs étudiants français
viennent travailler aux Etats-Unis. Tant mieux
! A San Francisco, il y a une communauté
française très importante et dynamique.
Quelles différences existe-t-il entre
Berkeley et Stanford, entre l'université
publique et l'université privée
de San Francisco ?
DB : Nous avons plus d'argent, tout simplement.
Ce qui veut dire que nous pouvons payer plus cher
nos professeurs. A Stanford, les salaires des
professeurs varient en fonction de la demande.
En conséquence, les professeurs sont plus
ou moins payés en fonction de la matière
qu'ils enseignent. Nous sommes une vraie entreprise
de marché. De manière générale,
nous pouvons prendre des décisions plus
rapidement.
Qu'enseignez-vous dans les cours d' "
Ethics " ?
DB : Nous partons du principe que le management
d'une entreprise dépend de la façon
dont pense le manager. Or, le mode de pensée
est structurée dans une certaine mesure
par la religion, par la conviction morale, etc
Nous enseignons donc les différents modes
de pensée qui entraînent telle ou
telle décision stratégique. Il y
a les pragmatiques, les kantiens, les catholiques,
les holistes
Les études de cas nous
permettent de procéder à une classification
de ces attitudes décisionnelles.
Comment abordez-vous en cours les scandales
qui touchent en ce moment le capitalisme américain
?
DB : Je ne crois pas que le problème
soit nouveau. Bien sûr, nous avons discuté
le cas d'Enron en cours, ce qui nous permet d'illustrer
précisément les différents
modes de pensée. Toutes les professions
repoussent sans cesse les limites de la loi. La
spécificité du business, c'est qu'il
nécessite mon investissement, celui de
l'homme de la rue : il se fonde sur la confiance.
Des entreprises qui dépassent les bornes,
il en existe partout, en Europe comme aux Etats-Unis.
Mais en Europe, les CEO (Chief Executive Officer)
ne risquent pas la prison. Aux Etats-Unis, c'est
le marché qui juge. Et il est beaucoup
moins clément qu'un juge français
! Mais quelle que soit la culture, quelles que
soient les institutions, on se débrouille
pour que les choses se fassent. Même en
France ! En ce moment, l'Etat réfléchit
à de nouvelles lois qui empêcheraient
le cas d'Enron de se reproduire. Toutes les dépenses,
par exemple, devront être justifiées.
C'était en fait déjà le cas
: les CEO n'étaient pas tenus de reporter
toutes leurs dépenses, mais ils le faisaient
car ils ont besoin de la confiance du marché.
Aussi, on parle de rendre indépendant les
comités de direction. Très bien,
mais le seul moyen que les démocrates ont
trouvé pour garantir cette indépendance,
c'est de ne pas payer ses membres. Je trouve cela
absurde : pourquoi s'embêteraient-ils à
travailler gratuitement ?
Pour quelle raison fait-on un MBA ?
DB : Pour gagner plus d'argent, bien sûr.
C'est cette demande précisément
qui fait toute la valeur du MBA : nos étudiants
veulent savoir ce qui va leur servir, ce qui est
efficace, ce qui est réel. Un MBA, c'est
le " real world ". Selon moi, toutes
les facultés devraient se forcer à
faire cet effort de réflexion : à
quoi sert notre enseignement ?
Que signifie l'intitulé de cet autre
cours que vous enseignez : " non-market strategy
" ?
DB : La stratégie de marché
repose sur un axiome simple : vendre le meilleur
produit le moins cher possible. La finance et
le marketing ne servent que cette fin qui est
celle du marché. Mais il y a beaucoup d'autres
facteurs extérieurs au marché qui
rentrent en compte : la relation avec les institutions,
avec l'Etat, avec les médias
Cet
enseignement est propre à Stanford et explique
peut-être son succès. Partant de
la théorie des jeux, des économistes,
des sociologues et des politologues sont arrivés
à cette conclusion : les institutions comptent.
Elles sont les règles du jeu qu'il faut
connaître. Stanford les enseigne.
Lire aussi l'article sur l'Université
de Stanford
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