Rencontre
avec Sadayo Satomi, professeur émérite
à l'Université du Sacré-Coeur

"
A la demande de Pie XI, les jésuites et
les surs se sont partagés au Japon
l'éducation des garçons pour les
premiers et des filles pour les secondes "
Aujourd'hui retraitée, sur Sadayo
Satomi, de l'ordre du Sacré-Cur,
porte en elle l'esprit chrétien qui fait
la tradition de l'Université du Sacré-Cur,
université de jeunes filles du centre de
Tokyo. Après des études en littérature
japonaise et anglaise, elle entre dans les ordres
et part enseigner l'anglais aux Français
du Canada. En 1970, elle se rend en France faire
une maîtrise et une thèse sur l'écrivain
Paul Claudel (" Signe de la croix chez Paul
Claudel "), avant de revenir au Japon où
elle commence à enseigner. Cela fait aujourd'hui
trente ans. Entretien.
Comment est née l'Université
du Sacré-Cur au Japon ?
Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait
pas d'université pour jeunes filles au
Japon, seulement quelques écoles normales.
Après la guerre, Sadako Ogati, une sur
américaine de l'ordre du Sacré-Cur
a créé la première université
pour " femmes " avec dès le départ
la volonté d'affirmer l'existence et de
préparer la carrière du sexe féminin
au Japon. En 1948, à la fin de l'occupation
américaine, il n'existait que cinq universités
de ce type. " Sacred-Heart University "
était à l'origine une université
internationale, et toutes les jeunes filles parlaient
anglais. Nous étions alors particulièrement
renommées en langues.
L'ordre du Sacré-Cur avait-il
déjà joué un rôle dans
le système éducatif japonais ?
L'Ordre remonte à l'an 800, quand a été
fondée la première école
à Amiens. Il a envoyé en 1908 les
premières surs à Tokyo (un
an avant les jésuites). Elles venaient
principalement d' Australie, ce qui explique la
tradition de langue anglaise que nous conservons
encore aujourd'hui. A la demande de Pie XI, les
jésuites et les surs se sont partagés
au Japon l'éducation des garçons
pour les premiers et des filles pour les secondes.
En 1918, la première école normale
est ouverte.
Qu'attendent aujourd'hui les jeunes Japonaises
qui rentrent à l'Université du Sacré-Cur
?
Elles sont de moins en moins littéraires,
la littérature étant un domaine
où nous sommes traditionnellement très
fortes. Elles s'intéressent surtout aujourd'hui
aux sciences sociales (politique et économie
en particulier), raison pour laquelle nous avons
récemment lancé un programme d'études
internationales. Depuis notre création,
l'anglais est obligatoire et paradoxalement, si
les besoins actuels nous donnent raison, je trouve
personnellement que nos étudiantes sont
moins douées pour cette langue. Bien sûr,
le français a toujours été
primordial (il était même obligatoire
au début) et bénéficie d'un
certain " cachet ". Mais le chinois
prend une importance que nous ne pouvons négliger.
Depuis que vous enseignez, avez-vous remarqué
une évolution chez les étudiantes
?
Bien sûr, mais l'esprit reste intact. Nous
conservons notre identité chrétienne.
Notre devise : Ubi caritas ibi teos (" Où
se trouve l'amour Dieu est ") nous sert encore
de philosophie : nous refusons l'éducation
de masse et portons une attention particulière
à chaque étudiante. Nous refusons
la production de masse, mais de façon naturelle,
le nombre d'étudiantes a considérablement
augmenté, ce qui rend plus difficile le
maintien de la qualité que nous avions
au début. L'évolution la plus frappante
selon moi, en dehors du fait que toutes ont un
téléphone portable (!), c'est que
les étudiantes choisissent des matières
professionnalisantes, plus pratiques : la psychiatrie
au lieu de la psychologie, l'économie à
la place de la sociologie, etc
Deux anciennes étudiantes de votre université
ont eu des destinées importantes : l'impératrice
Michiko, d'abord, puis Sadako Ogata, qui a travaillé
pour l'ONU. La première représente
l'image traditionnelle de la femme, éduquée
et intelligente mais dévouée avant
tout à sa famille, et la seconde la femme
politique active et indépendante. Lequel
de ces deux modèles l'Université
du Sacré-Cur met-elle aujourd'hui
en valeur ?
Sadako Osaka sans hésitation, même
si nous devons à l'Impératrice le
respect que mérite son intelligence et
son dévouement pour les uvres caritatives.
Mais bien entendu, les jeunes femmes d'aujourd'hui
ont une volonté farouche de faire carrière,
de s'imposer dans le monde économique et
politique. Le gouvernement de l'époque
avait même proposé à Sadako
Osaka d'être premier ministre, ce qui aurait
été une révolution. Mais
elle a refusé pour conserver son indépendance.
Dans les années 70, l'image de l'université
était celle de l'Impératrice : nous
enseignions la cérémonie du thé
puis nous avons découvert le monde du travail.
L'université s'ouvre-t-elle également
aux pays étrangers ?
Bien sûr, mais cela, nous le faisons depuis
notre création. Car l'Ordre du Sacré-Cur
est international. Nous avons 9% d'étudiantes
étrangères et 10% du corps professoral,
ce qui, pour le Japon est beaucoup. Nous avons
notamment un accord d'échange avec l'Université
Catholique de Lyon. Les échanges d'étudiants
n'ont commencé qu'en 1983, quand le Japon
est devenu riche. Nous incitons de plus en plus
nos étudiantes à communiquer avec
les étrangers.
Qu'en est-il de l'enseignement catholique
?
Le catholicisme est encore considéré
comme une religion étrangère au
Japon, et le nombre de catholiques n'augmente
pas. L'Impératrice, dont le cur est
chrétien, a néanmoins joué
un rôle important. Concrètement,
les étudiantes doivent obligatoirement
choisir huit crédits qui tournent autour
de la religion en général. Pour
l'essentiel, il s'agit de cours de culture comparée
: " Les femmes et la religion " ; "
la musique religieuse "
En-dehors de
cet enseignement, nous obligeons également
nos étudiantes à assister à
trois cérémonies : la messe d'ouverture,
la procession des feux et, à la fin de
leurs études, la prière de remerciement.
Enfin, bien sûr, tous nos cours ont une
portée morale qui manque, selon mon opinion,
au Shintoïsme et au Bouddhisme, plus liés
aux murs qu'à la vie individuelle.
Mais quoi qu'il en soit, notre établissement
ne peut être qu'cuménique.
Nous enseignons les arts traditionnels comme l'arrangement
des fleurs, le no, le koto, la calligraphie
et l'ancien palais impérial se trouve d'ailleurs
sur notre campus, avec ces portes en papier et
ces fameuses peintures sur bois. Il y a deux ans,
nous avions un professeur adepte et spécialiste
du Tenri (une croyance japonaise), et ses cours
de culture comparée ont été
très appréciés.
Lire également l'article sur L'Université
du Sacré-Coeur.
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